L’enseignement supérieur serait-il le parent pauvre de la société française ? Neuf universités françaises sont actuellement en déficit : Marne-la-Vallée, Pau, Reims, Toulouse III, Artois, Bretagne Sud, Limoges, Lyon III et Orléans (elles étaient 16 en 2012). À Orléans, l’inspection générale du ministère a même conclu à « une situation financière très alarmante », avec un trou de 7 à 15 millions d’euros.
Cette situation est révélatrice d’une crise pérenne dans un secteur qui constitue pourtant à la fois la vitrine de la formation à la française mais aussi l’avenir du pays.
Mais il n’y a pas que le budget des universités qui en pâtit : le corps professoral est aussi dans une situation d’instabilité chronique. Dans une tribune publiée le 27 février 2017 dans le journal Le Monde, une vingtaine d’universitaires ont dénoncé la totale indifférence des politiques vis-à-vis de l’enseignement supérieur et de la recherche, à l’instar de la mathématicienne Claire Voisin, lauréate de la médaille d’or du CNRS en 2016, qui déplore que l’enseignement supérieur et la recherche ne soient pas placés « au coeur du débat et parmi les enjeux essentiels ». Baisse du budget, fusions hâtives des universités, multiplication insensée des tâches administratives, baisse constante du niveau de vie des enseignants-chercheurs … Les griefs ne manquent pas selon les signataires de cette tribune.
Ces universitaires s’estiment inaudibles dans le débat public. Ils s’insurgent du fait qu’on leur impose des réformes mal pensées, des coupes budgétaires, le tout dans des projets qu’ils jugent absurdes, décidés par des conseillers ministériels qui n’ont jamais fait l’effort de penser vraiment ce que pourrait être l’université de demain. Une absence de vision du personnel politique qui porte à sourire, alors que ces derniers ne cessent d’afficher le mot « avenir » comme un chiffon médiatique. La véritable problématique se situe bien là : les décisions politiques se font par des personnes déconnectées du monde universitaire. On retrouve ici les mêmes complaintes dans d’autres secteurs que l’éducation nationale, évoquons par exemple l’agriculture ou les transports… Cette situation conduit ainsi logiquement à des grèves souvent insolubles parmi ces trois domaines d’activité.
C’est dans cette perspective qu’il faut jauger les programmes des candidats à la présidentielle sur la question de l’enseignement supérieur. Certaines propositions sont mêmes médiatisées par la presse et évoquées lors des discours. On peut citer le cas de Jean-Luc Mélenchon, qui est parvenu à en faire un sujet d’actualité en proposant une rentrée universitaire totalement gratuite dès 2017 (tout en voulant doubler le budget du ministère concerné). Emmanuel Macron prône quant à lui une « autonomie réelle » des facultés. Sans oublier Benoit Hamon, qui s’est engagé à augmenter d’un milliard par an le budget accordé à l’enseignement supérieur et à la recherche, quand bien même certains programmes inquiètent le corps professoral. Notamment celui de François Fillon, qui propose de « stabiliser les effectifs académiques des établissements » à l’heure où le manque d’enseignement-chercheurs est décrié par la corporation. Autant de mesures variées, pas ne pas dire opposées, qui ne manqueront pas de cristalliser cette crise dans la mesure où l’avis des enseignants ne devraient a priori pas être prise en compte ni dans l’influence du choix du candidat, ni dans le projet du candidat élu. Constatons ainsi une profonde rupture entre les enseignants-chercheurs et les représentants politiques, ces derniers ne représentant plus les agents d’une politique souhaitable pour les professionnels.
Mais alors comment expliquer un tel désamour à l’égard de la sphère politique ? Depuis le passage à l’autonomie, les universités sont confrontées à une équation difficile à résoudre : une dotation stable attribuée par l’Etat et, dans le même temps, une augmentation continue de leurs charges. Celles-ci sont notamment plombées par la progression de la masse salariale du fait de l’ancienneté des personnels. C’est ce que l’on appelle le « glissement vieillesse technicité ». Face à cette situation, les établissements coupent dans les budgets et donc dans les heures d’enseignement. Le sénateur du Gard, Simon Sutour, lors d’une question au Sénat le 17 avril 2014, s’inquiétait du fait que les difficultés financières des universités françaises entraînent un non-recrutement et une précarisation, des mises sous tutelle de certaines universités par les rectorats, ainsi qu’une dégradation des lieux d’enseignement. La ministre concernée alors en exercice, Geneviève Fioraso, lui avait alors répondu que cette situation était essentiellement liée à l’adoption de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007, dite loi LRU (qui prévoyait l’autonomie des universités dans les domaines budgétaire et dans leur gestion de leurs ressources humaines). Ces transferts de souveraineté ayant été effectués sans préparation, ni accompagnement du changement, ni projection dans l’avenir et dans la dynamique des dépenses.
Selon la journaliste Véronique Soulé de Libération, lorsque les universités sont passées à l’autonomie, l’Etat leur a transféré la masse salariale qu’elles doivent désormais gérer elles-mêmes. Or le calcul de cette dotation a été souvent approximatif et inférieur aux besoins. Par exemple, le glissement vieillesse technicité (GVT), c’est-à-dire la hausse automatique de la masse salariale en raison du vieillissement du personnel n’a pas été comptabilisé. Enfin, rien n’a été prévu afin de compenser les pertes liées à l’exemption des frais d’inscription des boursiers. Une situation qui explique le déficit généralisé de nombreuses universités. Le gouvernement de l’époque ayant laissé les responsables universitaires gérer des budgets multipliés par dix ou vingt sans les y préparer. L’Etat s’est donc désengagé en appauvrissant les facultés.
Autre point d’accroche, le budget. Certes ce dernier reste important avec 23,85 milliards d’euros reversés en 2017 à l’enseignement supérieur et à la recherche (soit 850 millions de plus qu’en 2016). Mais c’est sans compter sur le fait que de 2012 à 2016, l’augmentation du budget a été nulle, cette dernière ne suivant que l’inflation (de 12,778 à 13 milliards, avec une inflation cumulée à 1,91 %), tandis que le nombre d’étudiants augmentait à nouveau de 8,50 % (de 2 387 000 à 2 590 000 à la rentrée 2016). Une situation impossible à gérer pour ces établissements qui voient leurs amphithéâtres surchargés et leurs locaux délabrés. Des accrocs qui cristallisent le mécontentement général. Et qui pourrait à terme entrainer des troubles sociaux, notamment de la part des étudiants. Ce qui serait néfaste pour la cohésion nationale. La crise des universités mériterait donc d’être plus médiatisée et vulgarisée au grand public, afin que ce dernier puisse prendre conscience que cet enjeu aura des répercussions indélébiles sur la France de demain.
N.C. et F.D.