Le point G des politiques

S’il est bien une théorie relativement jeune qui a très vite connu un succès dans les milieux intellectuels français, c’est bien celle de l’avocat américain Mike Godwin. Le « point Godwin », qui pour bref rappel décrit un échange de points de vue divergents dans lequel la référence à Hitler et/ou le régime nazi sert de parallèle à la position de l’adversaire pour la discréditer de façon ultime. D’un point de vue sémantique, le terme « point » ici employé se réfère à son homologue anglais pour lequel il désigne notamment un argument.

C’est en parallèle à cette théorie que nous avons voulu analyser une autre référence quasi-systématique comme justification ultime de politiques de plus en plus larges : le Général de Gaulle.

Parmi les descriptions élogieuses et démesurées, quasi-mythiques pour qualifier celui qui fut déjà en son temps considéré comme « le plus illustre des Français » par le Président de la République : sauveur de la France, père spirituel de la Constitution de la Vème République, l’émanation personnifiée du peuple ; il en existe pléthore.

Comme tout mythe, le temps forge sa légende. Autrefois ouvertement contesté sans complexe, les politiques critiquant l’œuvre et l’héritage du grand Charles se font de plus en plus rares, ce malgré des déclarations et erreurs qui aujourd’hui lui seraient passibles de condamnations judiciaires et autres apostrophes médiatiques : ainsi, l’appel au personnage en est devenu un argument d’autorité incontestable.

Lors d’une interview sur TF1 début 2017, François Fillon se déclarait « gaulliste et catholique », version apocryphe du Gaullisme. Comme si l’héritage du Général de la Vème République était l’un de ses marqueurs politiques principaux. Comme le rappelle Emmanuel Maurel dans les colonnes du journal L‘Opinion, François Fillon avait abondamment cité de Gaulle pendant la primaire de la droite, mais s’autocensure depuis son fameux « imagine-t-on le Général mis en examen ? », qui ne lui a pas porté chance. Il faut dire que l’ancien Premier ministre Manuel Valls avait déclaré « Vous imaginez le général de Gaulle employant Tante Yvonne ? » en référence à l’affaire dite du PenelopeGate, après que le chef d’Europe Ecologie-Les Verts, Yannick Jadot, ait ouvert le bal en affirmant : « Vous imaginez Mme de Gaulle accepter un contrat d’emploi fictif ? ».

Emmanuel Macron de son côté, avait même osé une version de De Gaulle ressuscité en déclarant dans un meeting à Lyon le 4 février dernier : « De Gaulle, c’est moi ; la République, c’est moi ». Ce dernier étant conforté dans la cohérence de cette affiliation par son ancrage ni gauche, ni droite, revendiquée alors par le premier Président de la Vème République. « En Marche », un mouvement qui se veut au-dessus des appareils politiques, se verrait alors comme ancré historiquement dans la lignée du discours de Bayeux de 1946, qui fustigeait alors la « République des partis ».

En termes économique, Marine Le Pen affirme vouloir revenir au modèle d’Etat stratège et au protectionnisme en vigueur sous de Gaulle et Pompidou. Alors que l’homme de l’appel 18 juin s’était attaché à l’idée de la souveraineté de la Nation sur ses marchés, sa monnaie et sa législation, la candidate frontiste revendique ces mêmes préoccupations. Lors d’un meeting à Lyon début février, elle avait également cité le Général dans son discours, en explicitant l’une de ses citations de ses « Mémoires de guerre » : « Face aux grands périls, le salut n’est que dans la grandeur ». Mais au-delà de cette façade, le FN, dont le fondateur, Jean-Marie Le Pen déclarait « Le Général De Gaulle était-il plus courageux que ne l’était le Maréchal en zone occupée ? » reste cependant ambigüe sur le Général à qui Marine Le Pen reprochait encore récemment le « comportement coupable » pendant la Guerre d’Algérie.

François Asselineau, Nicolas Dupont Aignan et Jacques Cheminade se revendiquent également de cette figure. Leur combat contre l’Union européenne et l’OTAN trouvant un écho dans la « politique de la chaise vide » du Général lors de la Communauté économique européenne (CEE) et dans son retrait de la France du commandement intégré de l’Alliance Atlantique en 1966.

Pour le politologue Thomas Guénolé, interrogé par le média 20Minutes.fr, « chaque bord politique en prend le bout qui l’arrange ». Cette situation étant favorisée selon lui par le fait qu’il est le dernier « mythe national » français, et que son « existentialisme » est devenu l’incarnation même de la République française.

Ici se situe le point essentiel de notre remise en cause à cette référence de plus en plus systématique, encore plus marquée à droite : le contexte politico-social dans lequel prospérait M. De Gaulle (le simple aspect non naturel d’associer « Monsieur » à De Gaulle dépeint bien cette sacralisation dépersonnifiée du personnage) est très différent de celui dans lequel on vit, et absolument rien ne permet à quiconque de présager ce que le Général aurait pensé de cette situation.

D’autant plus qu’il peut paraître malsain que la référence à De Gaulle soit si souvent associée à des personnes dont les positions réactionnaires sont assumées. Conjugué à toutes les sauces anti-multicultaristes, nationalistes, ses pseudos-ventriloques oublient d’innombrables déclarations comme celle de Mexico de 1964 dans laquelle il estimait que « le fait qui dominera le futur c’est l’unité de notre univers. Une cause, celle de l’homme ; une nécessité, celle du progrès mondial et, par conséquent, de l’aide à tous les pays qui la souhaitent pour leur développement ; un devoir, celui de la paix, sont, pour notre espèce, les conditions mêmes de la vie ».

N’est-ce pas le lillois lui-même qui prédisait dans une conférence de presse en 1963 qu’«il ne faut pas s’attendre, bien sûr, à ce que les professionnels de la nostalgie, du dénigrement, de l’aigreur renoncent, tout au moins pour le moment, à suer le fiel, à cracher la bile et à lâcher le vinaigre » ?

Avec la tentative d’appropriation par la nouvelle figure de l’extrême-droite française, ce nationalisme dédiabolisé, incarné par Florian Philippot, le risque que l’héritage de tout ce que représentait réellement le réformateur de 1958 soit profané est préoccupant. Tout comme elle est parvenue à le faire pour l’image de Jeanne d’Arc, ou pour le sens réel du terme « patriote », cette appropriation outragerait véritablement l’héritage de cette si grande personnalité si elle était achevée.

Dès lors, il convient de se demander : faut-il se laisser voler la mémoire et l’honneur d’un joyau patrimonial de la Nation ? Que penser des propres prédilections du « Grand Charles » à Foccart en 1966, quand il prévenait « ne vous laissez pas faire par ces zigotos qui se prétendent gaullistes » ?

   F.D, N.C

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