Comment pouvons-nous considérer la légèreté rhétorique d’un homme politique des plus expérimentés lorsqu’il répète sans hésiter à plusieurs reprises lors d’un journal télévisé de 20h cette expression « je ne suis pas autiste » ? Ce sont effectivement par ces mots prononcés sur le service public, à une heure d’écoute massive, que le candidat à la présidentielle François Fillon a tenu à se défendre d’une forme de trouble du développement humain, que consisterait le fait de s’acharner à rester candidat. Comment devons-nous interpréter les mots teintés de colère de Philippe Croizon, célèbre infirme devenu sportif de haut niveau, qui peu de temps auparavant, avait interpellé Rama Yade dans l’émission « On n’est pas couché » sur France 2, en estimant que « personne ne parle du handicap ». Ce constat met le doigt sur une réalité malheureusement incontestable : aucun candidat dans la campagne politique actuelle n’aborde régulièrement cette question.
Mais comment expliquer un tel désintérêt ? Au regard des programmes présentés par les différents candidats, cette problématique est certes traitée, mais loin d’être évoquée régulièrement par les principaux intéressés. La plupart d’entre eux d’ailleurs se concentrent sur deux propositions globalement communes : la revalorisation de l’allocation pour les handicapés, l’AAH, et l’aide apportée aux écoliers handicapés, désireux de poursuivre une formation normale. Comme si cet enjeu ne pouvait se résorber que par des moyens financiers, signe d’un manque d’imagination et d’investissement sur cette question. Une autre explication proviendrait de l’imaginaire collectif selon lequel la facilitation de l’accès à (certaines) informations et lieux publics, ainsi que la politique de quota d’embauche suffisent à considérer la politique du handicap comme suffisamment charpentée. Cette vision réductrice du handicap s’inscrit dans une mauvaise évaluation liée à la généralisation des problématiques qui l’entourent, dont l’importance en France est souvent méconnue.
D’après Olivia Cattan, présidente de l’association SOS Autisme, près de 9 millions de Français seraient concernés par cet enjeu. Selon cette responsable associative, très peu de questions sur le sujet seraient posées par les journalistes aux candidats à la présidentielle, confortant l’idée que le handicap reste un tabou dans le débat national, enfermé dans une vision compassionnelle et victimaire.
Sébastien Proyart, Président de l’Association Nationale Médias Handicaps, s’était ému quant à lui dans le Huffington Post, de l’occultation globale des candidats à la présidentielle du 12ème anniversaire de la loi du 11 février 2005, promouvant l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Un texte majeur, qui instaurait une obligation d’accessibilité aux bâtiments pour les handicapés et dont la date butoir du 1er janvier 2015 n’a pas été respectée. Un tiers des établissements recevant du public (ERP) n’étant toujours pas entrés en conformité, énième signe d’une forme de déconsidération des politiques et des pouvoirs publics sur cette question. Pourtant, la crise de l’embauche dont sont victimes ces personnes est bien une réalité : le chômage des demandeurs d’emploi en situation de handicap a augmenté de 65% en 5 ans, ce qui a pour effet adjacent d’impacter considérablement sur le taux de chômage de cette période. On s’aperçoit ainsi que les personnes handicapées font non seulement partie intégrante mais aussi considérable de la vie active et donc de la grande question du travail en France.
Pourtant, lors d’un débat public sur le handicap organisé à la Cité des Sciences le 7 mars 2017, aucun candidat à la présidentielle ne s’est directement présenté à cette conférence. Ces derniers ayant préféré convier leurs subalternes, laissant supposer que cette table-ronde représentait pour eux une perte de temps dans une campagne en quête de souffle. Exemple similaire, lors d’un article- dossier sur la présidentielle élaboré par le magazine Handirect, média spécialisé sur la question des handicapés, deux candidats avaient refusé de répondre aux questions des journalistes. Enfin, lors du salon du handicap à Paris du 8 au 10 juin 2016, aucune personnalité politique ne s’était déplacée à l’exception d’Alain Juppé et de Valérie Pécresse. On peut dès lors supposer que ce véritable enjeu économique et social que représente l’intégration des personnes handicapées est sous-estimé par les pouvoirs publics.
Le Défenseur des Droits Jacques Toubon est même monté au créneau en février 2017, en rappelant à l’ensemble des candidats à la présidentielle de 2017, qu’ils devaient oeuvrer pour assurer l’accessibilité des bureaux de vote aux handicapés. Dans une lettre envoyée à l’ensemble des candidats, ce dernier s’alarmait d’une certaine « hétérogénéité dans les pratiques des candidats » sur cette question, les appelant à porter « une attention particulière à l’égard des personnes handicapées en proposant une série de mesures à intégrer dans leur campagne ». Richard Darbera, président de l’association des sourds et des malentendants Bucodes-Surdifrance, s’était quant à lui offusqué sur le plateau du Magazine de la Santé de France 5 en février 2017, que seul un site de campagne d’un candidat à la présidentielle dispose de sous-titres systématiques. Une entrave à la citoyenneté pour les six millions de malentendants français (soit un Français sur six).
Mais cette situation est loin d’être inédite et indexée sur la campagne en cours. En effet, cette déconsidération est cristallisée au sein de notre société, et c’est en cela qu’il s’agit d’un tabou. C’est d’ailleurs parce que la France était l’un des élèves les moins performant en matière d’intégration des handicapés que l’Union Européenne l’a sanctionnée et contrainte à améliorer sa politique à leur égard. Cependant, même si le budget a ainsi sensiblement augmenté, les pouvoirs publics jugent parfois plus utiles d’allouer une partie de cette somme à d’autres secteurs d’activités sous couvert d’assistance à personnes à mobilité réduite. Le blogueur Olivier Ertzscheid avait par exemple révélé en septembre 2016 que l’Etat avait pioché 30 millions d’euros dans un fonds pour l’aide à l’emploi des personnes handicapées (FIPHPF) afin de financer le renforcement de la sécurité des campus universitaires pour la rentrée. Une pratique apparemment assez récurrente pour Jacques Zeitoun, représentant de l’Association des paralysés de France, qui estime le manque à gagner total à près de 120 millions d’euros.
Cette absence d’intérêt sur la question du handicap peut, comme nous l’avons vu, s’expliquer par plusieurs facteurs. Dans un premier temps, il convient de rappeler le tabou existant en France sur cet enjeu, ou plutôt la déconsidération de l’action politique sur le sujet. Celles-ci s’orientent sur tous les aspects de la vie en société, et impactent directement l’économie dans la mesure où elles constituent un investissement sur l’avenir auprès de 10% de la population active française. D’autre part, notons que les candidats à la présidentielle préfèrent faire des réformes englobantes, qui concernent le plus de citoyens possible, ce qui est classique dans toute campagne électorale : il s’agit d’une pratique électoraliste qui vise évidemment à étendre leur champ électoral au maximum.
La question du handicap est donc surement perçue comme pas assez « lucrative » en période d’élection : cela explique par ailleurs le militantisme de plus en plus poussé et tourné vers la présidentielle de 2017 des associations défendant les droits des handicapés. La prise en main par elle même de la société civile devient-elle la seule solution pour combler cette carence politique ?
Il serait donc sage de reconsidérer l’apport réel que peuvent apporter les personnes en situation d’handicap à la fois sur l’économie mais aussi sur la société : il s’agit bien là d’une richesse humaine potentielle, non d’un assistanat couteux et inutile. Alors que dans un pays du Sud, l’Equateur, un candidat paraplégique ne se déplaçant qu’en fauteuil roulant, Lenin Moreno, se trouve actuellement au second tour de la présidentielle, nous peinons à expliquer l’absence de toute personne handicapée dans aucun gouvernement de l’histoire de notre pays autrement que par un désintérêt manifeste, révélateur d’une crise cristallisée ?
N.C., F.D.