L’absence de culture symptôme du mépris politique ?

L’un des thèmes de la dystopie « Le Meilleur des Mondes » d’Aldous Huxley est l’anéantissement de la culture. Notons que cette ambition est un des points communs des régimes qui ont le plus permis de contrôler l’esprit de la population, et que la dernière fois que cela s’était produit en France, un homme de 86 ans prenait alors le pouvoir.

Au-delà de ces rappels, nous avons cherché à identifier la place de la culture dans les programmes des candidats, qui se retrouve considérablement relégué à un rang tertiaire voire inexistant selon les projets.

Emmanuel Macron a dévoilé le sien le jeudi 2 mars 2017. Une trentaine de pages qui en disent plus sur le programme politique proposé par ce candidat qui veut incarner la rupture avec la classification politique gauche/droite pour une « France nouvelle ».

Mais malgré tous ses efforts, le représentant d’En Marche ! ne diffère pas de l’ensemble de ses adversaires sur un point : l’absence de la culture pour enjeu politique majeur. En effet, si l’on excepte certaines mesures, dont sa proposition d’extension d’accessibilité des bibliothèques publiques – une ambition a priori plus figurative que réellement inscrite dans un véritable projet culturel –, la culture est mise à l’écart des principales préoccupations de l’ancien pensionnaire de Bercy.

Or il s’agit bien là d’une première dans l’histoire de la Vème République : en effet l’ensemble des principaux candidats délaissent cet aspect culturel pour se concentrer sur des mesures soit identitaires, soit économiques, soit sociales, soit institutionnelles.

De Gaulle, grandement inspiré par ses contemporains, André Malraux en ligne de mire, en avait fait une fierté nationale à préserver jalousement. Son héritier désigné Georges Pompidou, agrégé de lettres, plaça l’art et la culture dans une perspective d’avenir pour la France : on lui doit notamment le centre culturel francilien qui porte aujourd’hui son nom. Le septennat de Giscard fut magnifié par l’ouverture du Musée d’Orsay. Mitterrand redonna toutes ses lettres de noblesse à la culture à travers le doublement du budget alloué à son nouveau Ministère. Jack Lang mènera cette grande politique culturelle que Mitterrand souhaitait « pour tous ». Son successeur continuera sur cette lancée en poursuivant la démocratisation de la culture par la décentralisation, et en l’enrichissant par l’art africain.

Le délitement progressif d’un grand projet culturel a été par la suite initié par Sarkozy et Hollande, non sans avoir toutefois fait figurer un intérêt manifeste. Alors qu’hier les Ministres de la Culture rédigeaient des oeuvres dignes de prix Nobel de littérature, aujourd’hui ils ne les lisent plus.

Or si l’on reprend les termes de notre ancien ministre de la Culture, André Malraux, lorsqu’il rendit hommage à la Grèce le 28 mai 1959, « la Culture ne s’hérite pas, elle se conquiert. Encore se conquiert-elle de bien des façons, dont chacune ressemble à ceux qui l’ont conçue ». Ces paroles résonnent aujourd’hui comme une tragique prédilection de la campagne présidentielle 2017.

Pauvreté générationnelle ou abalourdissement consenti : des théories post-orwelliennes émergent et mettent en avant cette mise en demeure de la culture au profit de divertissements sans fondement. Distant de ces considérations quasi-conspirationnistes, l’objet de cet article est d’alerter sur l’erreur que font les responsables publiques quant à la politique culturelle qui est menée ou proposée.

Il convient dès lors de se demander si le besoin de culture au sein de notre société a évolué en termes d’intérêt. C’est le sens de la théorie des besoins du psychologue Abraham Maslow qu’il matérialise avec une pyramide. Selon lui, le besoin d’accomplissement de soi et le dernier besoin essentiel d’un être humain : cela passe notamment par la culture. S’il est nécessaire de rappeler que la culture est une philosophie de vie aux contours très larges, la soif civile de culture n’en est pas moins méprisable. Elle figure donc bien comme un besoin essentiel des individus dans une société. Or l’interprétation sociétale qui en est faite par les candidats ne semble pas s’inscrire dans cette lignée : ils paraissent ainsi ne pas la considérer comme un besoin d’accomplissement personnel des citoyens.

Cette interprétation a conduit logiquement à un transfert progressif de la culture aux collectivités territoriales dans un esprit de décentralisation des compétences. Cela se prouve par la forte progression des projets à valeurs culturelles menés par les collectivités.

Mais si cette situation semble convenir à nos responsables gouvernementaux, la diminution croissante généralisée du budget des collectivités a déjà mené au déclin des moyens alloués à la culture et risque d’aboutir à une paupérisation culturelle de la société. Ainsi, un projet sans Culture, c’est s’adresser au peuple en le déconsidérant, en estimant qu’il n’en a pas besoin ou la reléguer à de simples divertissements de masse. La densification des jeux télévisés en l’espace d’une trentaine année est en ce sens édifiant. Volontaire ou non, cela a pour effet d’annihiler le développement chez l’individu de son intelligence créative, voire de son intelligence tout court.

C’est à ce risque que cet article se veut précautionneux sur le délitement d’un véritable programme concernant la culture. En effet, un projet pour la France sans dispositions culturelles signifie à terme l’avilissement des citoyens et donc l’acceptation d’idéologies extrémistes. Serait-ce un hasard si Marine Le Pen ne peut compter sur le soutien d’aucune personnalité notoire dans le milieu culturel ? Un projet sans culture, c’est estimer que la culture vient après tout le reste, alors que justement, c’est la culture qui permet tout le reste.

F.D

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