La France et les « migrants » : Suis-moi je te fuis, fuis-moi je te prie

Simples épisodes médiatiques ou crise sociale profonde ? Les « migrants » font l’actualité de façon intermittente depuis les théâtres de guerres civiles et militaires que subissent plusieurs pays arabes. Or, aucune initiative pérenne n’a encore permis de résoudre cette tragédie, crise politique et sociale que l’opinion publique et de nombreux personnages politiques ont du mal à reconnaitre et à accepter.

En cause notamment un traitement des informations qui peut apparaître clivant : ainsi analyse-t-on une sémantique très déshumanisante. Les médias et politiques n’hésitent pas à parler de « jungle » pour qualifier le lieu de vie de des réfugiés et plus grave encore, contribuent à banaliser le terme « migrants », souvent associé à celui de « clandestin ».

Conscient ou non, l’enjeu idéologique qui se cache derrière cette banalisation est peu bienveillant à l’égard de ces êtres humains dont on ensauvage et avilie l’image. Avons-nous besoin de rappeler ce que l’occidental entend inconsciemment derrière le mot « jungle » ? Selon les propos de l’universitaire Roger Brunet dans ses « Mots de la géographie », « la jungle a hérité des connotations négatives de la vieille forêt (celle où rôde le loup des contes pour enfants) auxquelles se sont rajoutés les aspects négatifs de l’exotisme (inconnu et sauvagerie) (..) ». Ainsi l’on explique le sentiment de peur que suscite l’évocation de ce lieu naturel. L’auteur poursuit d’ailleurs sur cette idée : « La jungle est donc l’incarnation de l’inhumanité invivable, et la loi de la jungle une forme de chaos qui fait office d’épouvantail politique. ». De plus, cette image d’anarchie est souvent illustrée par les reportages des médias français, dans leur généralité, concernant ces exilés.

Enfin, le terme « migrant » a une connotation tout aussi péjorative et déshumanisante dans la mesure où il englobe un ensemble de personnes dont l’origine, les compétences ou le caractère constituent des identités multiples : cette perte d’identité personnelle propre, associée à une catégorisation sociale problématisée constitue cette déshumanisation.

Le propos ici n’est pas d’accuser les médias d’une orientation idéologique qu’ils chercheraient à véhiculer mais bien de déplorer que dans un but marketing, une majorité d’entre eux va chercher à susciter l’émotion – qu’elle soit positive ou négative – et vont ainsi de fait contribuer malgré eux à la position de l’opinion concernant ces sujets. Un événement inverse va servir à illustrer cette idée, rappelant au triste souvenir de la photographie massivement diffusée dans les médias français de cet enfant syrien en bas âge Alan (orthographié Aylan par la presse) dont le cadavre avait échoué au large d’un rivage turc en fin d’année 2015.

Cet électrochoc s’insère dans un processus de significativité normative qui aboutit à une évolution importante (bien que temporaire) dans l’opinion. Pour rappel, la significativité normative désigne la corrélation subite entre un événement et nos convictions, nos valeurs personnelles et collectives profondes. En effet, deux sondages Elabe (séparés d’une semaine et de la fameuse photo) expliquent que dans un premier temps les Français sont à 56% hostiles à l’accueil des migrants puis 53% en faveur de cette mesure. Relativisons tout de même la portée de cet événement dissonant avec le reste du traitement médiatique de l’afflux migratoire : peu de temps après, la croissance des Français hostiles à l’accueil était repartie de plus belle. Notons également que si la significativité normative de la population à l’égard des drames qu’ont vécus ces personnes exilées pousse certains à être favorables à leur accueil, il subsiste globalement un fort phénomène dit de « not in my backyard » dans lequel ces Français souhaitent uniquement que cela reste dans le domaine du collectif : « je suis pour qu’on les accueille, mais pas chez moi ».

Ce constat sur l’importance de l’image véhiculée dans les médias participe activement à une crise profonde : celle de la désorganisation politique sur les mesures nationales à adopter concernant l’accueil – ou non – de ces réfugiés. La situation de désordre toléré par les pouvoirs publics dans des villes comme Calais a conduit des municipalités à des impasses politiques problématiques, dont la médiatisation a abouti à une solution de fortune. Cette solution consistait à disséminer ces personnes dans une multitude de communes et de transférer la responsabilité politique aux élus locaux, contribuant à une décentralisation d’un enjeu migratoire. Cela s’est traduit par des mesures parfois opposées, entre hospitalité chaleureuse (constatée dans de nombreuses communes) et hostilité malveillante (entre autres fortes réprobations populaires, la maire de Calais a par exemple interdit la distribution de repas aux réfugiés). Un élément de réponse à la recherche d’alternative crédible à l’afflux de populations extra-européennes dû aux guerres civiles se trouve dans la remise en cause des politiques étrangères menées par les pays de l’Occident, ceux de l’Union Européenne en ligne de mire. Dans la mesure notamment où l’Europe est directement reliée géographiquement aux théâtres de conflits de par la Turquie, cette crise migratoire trouve un écho en son sein.

Aussi, l’implication relative de certains pays européens dans les désordres politiques locaux est à identifier. C’est dans cet esprit que nous nous devons de rappeler les agissements de la France sur certains terrains de conflits d’où sont issus les personnes qui s’en expatrient. En outre, la France est engagée en Irak puis en Syrie depuis septembre 2014 dans l’Opération Chammal qu’elle a initiée. D’autre part, l’Union Européenne s’est trouvée incapable de maitriser ses frontières, dont le paroxysme est identifiable par la pauvreté et l’inefficacité de l’organisation Frontex initialement prévue pour gérer les flux migratoires. Argument prisé par les europhobes, il n’en est pas moins symptomatique des enjeux et problématiques des relations extra-européennes de l’Union. Or un de ces enjeux est justement la gestion de ces réfugiés politiques dans une perspective humanitaire.

La France, inscrite dans le processus européen, a démontré ses responsabilités et ses limites dans la crise migratoire qu’elle subit. Cependant il lui appartient de mener la politique qu’il lui sied, ce qui nécessite une certaine lucidité : ainsi peuvent s’entendre ces célèbres propos de l’illustre homme de gauche que fut Michel Rocard lorsqu’il postulait que « La France ne peut accueillir toute la misère du monde… mais elle doit en prendre sa part ». Une part qui varie selon les interprétations politiques, dont les représentants qui candidatent à l’élection présidentielle n’en font globalement pas un enjeu prioritaire de campagne : cela cristallise ainsi la crise dont l’incapacité à la résorber se fait se fait de plus en plus problématique socialement parlant : il en va des valeurs de la France.

F.D.