La crise oubliée : une campagne sans agriculture

Le 24 février 2017, la Tribune publiait un article titré : « Crise agricole : la France peut-elle se passer de paysans ? ». Un titre cinglant, qui montre la marginalisation de la filière. Alors que le rapport de la Santé publique de France et de la Mutualité sociale agricole, publié en 2016, estimait que tous les trois jours, un agriculteur se suicidait en France, et la situation est critique pour cette corporation, comment expliquer qu’elle se sente délaissée en période d’élection ?

Le président de l’Association Jeunes Agriculteurs, Jérémy Decerle, a publié le 10 janvier 2017 un manifeste intitulé « Pour une ambition agricole française qui défende un modèle agricole de type familial », qui s’insurge contre le manque de porte-voix de la cause agricole dans la campagne présidentielle de 2017, demeurant une crise du leadership dans le monde agricole. Une vision similaire, partagée par Christiane Lambert, la successeur de Xavier Beulin à la tête de la FNSEA, avait regretté que l’agriculture ait été peu et mal traitée lors du débat télévisé entre les principaux candidats à la présidentielle sur TF1. À l’instar de Bernard Malabirade, président de la Fédération Départementale des Syndicats d’ Exploitants Agricoles (FDSEA), qui avait déclaré vouloir « imposer l’agriculture dans le débat présidentiel ». Le président du Salon de l’agriculture avait quant à lui, déploré que : « Pas un candidat n’est venu nous dire : « Voilà ma vision pour l’agriculture, la production, l’exportation, la fiscalité ». Un mécontentement partagé par Ségolène Royal. La Ministre de l’Ecologie avait alors souhaité rappeler aux candidats que « la question agricole doit être intégrée à la question globale de la société, parce que l’alimentation, c’est un sujet crucial ».

Pourtant, sept des candidats à la présidentielle s’étaient par exemple déplacés à Brest le 30 mars dernier auprès du Conseil de l’agriculture français, pour y défendre leurs propositions en la matière. François Fillon y avait affirmé qu’il fallait « arrêter d’emmerder les agriculteurs » qui cumulent « les difficultés : crises sanitaires, accidents climatiques, prix extrêmement fluctuants et beaucoup trop bas pour couvrir [les] coûts ». Emmanuel Macron avait même proposé dans sa rhétorique emphatique un véritable « Plan Marshall de l’agriculture ». Quant à Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan, ils avaient évidemment attaqué la Politique Agricole Commune (PAC), coupable selon eux de tous les maux. Marine Le Pen avait même profité de sa présence en terre bretonne, pour tenir un meeting à Trinité-Porhoët, afin de rendre hommage « aux valeureux agriculteurs », que la droite comme la gauche auraient abandonnés. Excepté Jean-Luc Mélenchon, la majorité des candidats s’est rendue au célèbre salon Porte de Versailles pour aller à la rencontre, certes calculée et électoraliste, des éleveurs.

Leurs programmes ne sont également pas en reste sur la question. Emmanuel Macron propose cinq milliards d’euros pour moderniser la filière. Benoit Hamon suggère de défendre l’accès aux soins et des droits sociaux des agriculteurs face aux géants de la grande distribution. Marine Le Pen souhaite un patriotisme économique pour promouvoir les exportations agricoles françaises. Jean Luc-Mélenchon veut se concentrer sur l’importance des « circuits-courts » et sur l’agriculture « bio », pour sauver le secteur de la mondialisation. Enfin, un chapitre entier du programme de François Fillon est dédié sur le sujet, notamment en réformant le droit de la concurrence.

De ces propositions, qui laissent figurer des mesures d’annonce plus que de réels plans pour l’agriculture et ses filiales connexes, il apparaît une fin de non-recevoir du vrai problème qui touche cette filière : l’approche globale caractéristique de la gestion de crise de grande ampleur. Ce n’est pas en segmentant le problème qu’on arrive à l’appréhender dans sa globalité.

Mais comment expliquer alors un tel sentiment d’abandon ?

Selon Paolin Pascot, Président d’Agriconomie et de la Ferme digitale, en 2016 l’agriculture française aura connu l’une des périodes les plus noires de son histoire. Les pertes sur l’année se chiffrent à plusieurs milliards d’euros. Ceux qui en souffrent le plus sont les agriculteurs eux-mêmes : l’INSEE a ainsi indiqué que leurs revenus pourraient avoir chuté de 26% en 2016 alors qu’un tiers des agriculteurs gagne déjà moins de 400 euros par mois. 50% des exploitations agricoles françaises auraient disparu en 20 ans du fait que ces dernières ne pouvaient plus vivre de leur métier. Le Plan d’aide à l’agriculture annoncé par le gouvernement à l’automne 2016 étant considéré comme insuffisant par M. Pascot.

L’année 2016 avait déjà été émaillée par des manifestations sans précédent d’agriculteurs, ulcérés par leur situation. Notamment en raison de la fixation du prix de la viande de porc, dont la valeur d’achat par les grandes surfaces avait cristallisé le mécontentement des éleveurs concernés. Mais même si les coûts de vente, tirés vers le bas par la guerre des prix dans la grande distribution, sont le nœud du problème, d’autres difficultés viennent s’y ajouter comme l’empilement des normes européennes et la multiplication des contrôles, la surproduction européenne dans le secteur du lait qui fait chuter les prix français ou encore l’embargo russe sur les produits alimentaires, confortant la nécessité de l’approche globale.

Les agriculteurs ont donc l’impression que malgré les gouvernements successifs, la situation continue de s’aggraver. Une pente descendante qui ne peut qu’entrainer une morosité appuyée parmi ce secteur. Un divorce donc consumé avec la sphère politique. À un détail près. Car si selon la dernière enquête Cevipof, 52% des agriculteurs sondés ont déclaré vouloir s’abstenir lors de la présidentielle de 2017, 35% seraient prêt à voter pour la candidate frontiste. Une situation inédite dans la Ve République, dans laquelle le candidat de la droite serait devancé par la représentante de l’extrême droite dans la population agricole.

N.C

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