France 2 s’est délecté d’un « buzz » le jeudi 23 mars dans son émission politique consacrée à François Fillon. La romancière Christine Angot a fait part de son indignation à l’ancien Premier Ministre sur les avantages qu’il s’octroie ou accepte en tant qu’élu de la Nation.
Le propos fut certes maladroit mais il traduisait une réalité : il existe une profonde frustration populaire des « gens » à l’égard des représentants politiques nationaux.
De même, Emmanuel Macron a suscité de vives émotions lorsqu’il affirmait mercredi 22 mars : « J’ai vécu, à un moment donné, quand j’étais adolescent, avec environ 1000 euros par mois», assurant un peu tard plus savoir ce que « c’est de boucler une fin de mois difficile ».
Mais comment expliquer cette exaspération que beaucoup peuvent avoir à l’égard de telles considérations, qui n’émeuvent pas les politiques ?
Il nous appartient tout d’abord d’identifier ce qu’on entend par « gens », ce mot dont tout le monde se sert pour décrire tout le monde mais qui est fui par le milieu intellectuel. Il en va de sa réhabilitation.
Ses définitions sont extrêmement vagues et peu fournies. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) le qualifie ainsi comme « personnes en nombre indéterminé, considérées collectivement ».
Lorsqu’on consulte les différents dictionnaires, on s’aperçoit qu’il n’a guère d’autre synonyme adéquat que le mot « peuple ».
Ce même mot est sujet de nombreuses interprétations, dont les deux principales opposent une vision globale de la communauté d’une nation et une vision spécifique de cette masse, visant les classes populaires. Cette dichotomie fut par ailleurs illustrée lors d’un débat entre le philosophe Michel Onfray et l’essayiste Yann Moix sur le plateau de l’émission « On n’est pas couché » en septembre 2015.
Nous partirons du principe que le peuple désigne, comme le définit notamment le CNRTL, « l’ensemble des citoyens de condition modeste ou humble, par opposition aux groupes ou classes privilégiées par la naissance, par la fortune, la culture, l’éducation… ».
Ainsi qualifié, ce peuple constitue concrètement la masse floue que dépeint le terme « les gens » dans la mesure où il renvoie aux classes populaire et moyenne. Pour aller plus loin, nous rapprochons le terme « société civile » à ces idées-là, en ce qu’il représente.
D’après le Crédoc, ces catégories comprendraient les personnes qui touchent entre 0 et 2.620 € par mois, soit environ 70% de la population.
Néanmoins, de nombreuses études scientifiques reprenant notamment les travaux du Crédoc et de l’Observatoire des inégalités ont démontré que le sentiment d’appartenance à cette masse là est croissant depuis les années 1960 et est maintenant stable à plus de 95%.
Dans la mesure où se reconnaissent ainsi une grande majorité de la population française, contrastant avec les représentants de la politique nationale (dont le salaire brut moyen est supérieur à 7.000 €), le contraste conceptuel de ce que peut représenter l’argent se situe là.
Il résulte de la différence entre un parlementaire et une personne issue de la société civile, un salaire des élus au moins deux fois supérieur à la moyenne des Français, ainsi que des avantages exceptionnels sur des dépenses qui constituent des éléments de préoccupation quotidienne d’une immense majorité de Français : transports, frais de bouche, frais d’habillement, logement, retraite.
Il va de soi que ces avantages sont encore plus importants lorsqu’on intègre le Gouvernement.
Or la politique en France se résume en la confrontation de plusieurs idéologies, bipartisanes ou multipartisanes. Les principaux représentants nationaux de ces formations politiques instituées ont tous sans exception eu au moins un mandat d’élu national, il en va de même pour les actuels candidats à l’élection présidentielle.
Les exemples d’abus de ces privilèges sont pléthores et pérennes depuis des décennies, ce qui a contribué à la frustration profonde et insoluble de plus en plus de personnes issues de la société civile.
Dès lors nous expliquons comment des politiques peuvent avoir une conception différente de la vie que celle de leurs concitoyens de la société civile, avec des idées disproportionnées de ce que peut être le prix d’un ticket de métro, d’une pâtisserie ou d’un litre d’essence. Quasiment tous font partis des 10% des salariés les plus riches de France, ce qui de façon logique n’aide pas à appréhender concrètement « la vraie vie des gens » et leurs préoccupations en dehors de la représentation qu’ils s’en font.
Toujours est-il que les élus nationaux ne remettent pas en cause leurs conditions. Certains au contraire comme Hervé Mariton et Henri Guaino, plaident à demi-mot pour une revalorisation du salaire des députés, afin qu’ils ne se laissent pas tenter par la corruption ou par l’abus de privilèges.
Avec une telle vision de l’honnêteté morale que suppose la fonction de garant de l’intérêt général et représentant de la Nation, la rupture ne peut que s’intensifier.
D’autant plus que cette rupture s’observe sur d’autres fronts : il est souvent reproché aux élus de faire carrière. Cette critique peut se justifier par l’augmentation de l’âge moyen des parlementaires français, qui est passé de 50 ans à 65 ans entre 1981 et 2012, donc de 15 ans en 31 ans.
Parallèlement, il se dit des deux hémicycles que contrairement à ce qu’elles sont censées être, elles ne représentent pas le peuple lorsqu’on considère les secteurs d’activités d’où sont issus des parlementaires par rapport à ceux de la société civile. Il serait dès lors illogique que des règlementations soient produites par des personnes qui ne sont pas expertes des domaines auxquels ils légifèrent.
En bref, il est incontestable d’observer une rupture symbolique entre le peuple, ou les « gens » de la société civile, et leurs représentants au regard des instances de la Vème République. Mais jusqu’où va mener cette rupture ? Seul l’avenir nous le dira.
F.D