Mais qu’arrive-t-il à cette campagne ? Les dernières éditions de l’émission « On n’est pas couché » sur France 2 sonnent comme une caisse de résonance d’agressivité. Philippe Poutou qui accuse Laurent Ruquier de se moquer des travailleurs, Jean Lassalle qui considère que la rédaction de l’émission est affligeante, Florian Philippot qui accuse à demi-mot le chroniqueur Yann Moix d’être antisémite … Certaines digues semblent avoir cédé au regard de l’ambiance qui avait été celle de l’élection présidentielle de 2012.
Premièrement, ceux qu’on appelle de manière un peu brutale « les petits candidats » semblent être rentrés dans un cercle de paranoïa, quant au temps de parole accordé. Un sentiment caractérisé par le départ du plateau du JT du 20h de TF1 de Nicolas Dupont Aignan, qui voulait alors dénoncer son absence du premier grand débat de la campagne sur TF1. Ou encore François Asselineau, qui évoque dans ses discours un verrouillage médiatique, orchestré par l’oligarchie au pouvoir. Une forme de complotisme, qui, plus étonnant sera plus étonnant, est également partagé par François Fillon. Ce dernier a assimilé les révélations du Canard Enchainé sur le PenelopeGate à une forme de cabale politique manigancée par le pouvoir en place.
Deuxièmement, la radicalité des programmes. Fait politique très nouveau, cette élection regroupe cinq candidats dits « souverainistes » : Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Jacques Cheminade et François Asselineau. La fracture semble à présent se positionner sur la question européenne, qui cristallise les débats comme jamais auparavant. La proposition électorale en 2012 de Nicolas Sarkozy de suspendre temporairement l’espace Schengen avait choqué plus d’un électeur à l’époque. Cependant à l’heure du Brexit et de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, ce type de mesure ne semble pas avoir le même effet « épouvantail » qu’auparavant.
Troisièmement la question de l’argent. Cette problématique semble considérablement cliver l’ambiance générale de cette campagne, au point d’en devenir un tabou : « On ne parle pas comme un boutiquier à essayer de se comparer à qui gagne plus de pognon que (soi) […] Ce n’est pas possible, je vous jure, c’est inaudible ! » avait crié la journaliste Isabelle Saporta, toujours sur le plateau de Laurent Ruquier, à Hervé Mariton, député Les Républicains (LR) de la Drôme, qui laissait alors entendre que 5.000 euros de salaire pour un député n’est pas une rémunération suffisante. Une rhétorique qui avait été également employée par le candidat François Fillon, qui avait affirmé au micro de Jean-Jacques Bourdin que malgré ses 275.000 euros perçus en 2016, il ne réussissait pas à mettre de l’argent de côté. Ou encore Laurent Wauquiez, le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, qui avait demandé une augmentation de ses indemnités pour ne pas avoir à « dormir dans sa voiture » d’après son entourage (malgré son indemnité de 8231 euros brut cumulée à son salaire de député). Ces propos sont d’autant plus inaudibles que le salaire moyen est d’approximativemnt 2.200 euros et que beaucoup de Français se plaignent de fins de mois difficiles (cf article « qu’est-ce que la pauvreté » de l’Observatoire en Campagne nº4).
Quatrièmement, situation unique dans l’histoire de la Vème République, le candidat sortant n’est pas dans la course à l’Elysée. Un vide qui permet un relâchement généralisé du discours électoraliste. La défense du dernier bilan présidentiel n’étant alors assumée par aucun candidat, et les anciens Ministres Macron et Hamon (ce dernier étant même le représentant de la majorité sortante) cherchent à s’en défaire. Il semblerait que l’affiliation à un cabinet hollandais soit un trop lourd fardeau. Lors d’un meeting à Ajaccio, François Fillon avait alors déclaré au sujet d’Emmanuel Macron : « Emmanuel Macron n’a rien du renouveau mais tout de l’Ancien Régime. On a beau vouloir habiller complaisamment sa candidature de quelques plumes de l’Aigle, elle ne réussit pas à quitter la basse-cour socialiste ». Ne l’a-t-il d’ailleurs pas appelé « Emmanuel Hollande » ? Un angle d’attaque également utilisé par Marine Le Pen, qui avait qualifié le candidat d’En Marche, de continuateur de la « Hollandie ».
Enfin, s’il y a bien un phénomène qui caractérise cette campagne c’est bel et bien l’absence chronique de loyauté. Situation inédite, le candidat de la majorité sortante ne parvient pas de rassembler son propre camp, et la large dissipation du Gouvernement en est un symptôme criant. Une trahison politique, qui est même en grande partie l’apanage des plus hautes sphères de l’exécutif en place. De l’ancien Premier ministre Manuel Valls qui refuse de soutenir Benoit Hamon, en passant par d’éminents membres du gouvernement comme Jean-Yves Le Drian, qui ont préféré soutenir la candidature Macron. Même François Hollande n’a pas apporté son soutien au candidat socialiste alors que Jacques Chirac, malgré son animosité de notoriété publique à l’égard de Nicolas Sarkozy, avait appelé à voter pour le représentant UMP à la présidentielle de 2007. Situation similaire du côté de François Fillon, dont une grande partie de l’équipe de campagne s’est liquéfiée, de Bruno Le Maire en passant par Thierry Solère, suite à sa mise en examen pour l’emploi présumé fictif de son épouse.
Cette élection présidentielle ne ressemble décidément à aucune autre. Un mélange d’agressivité et de bizarreries, qui fera le plaisir des historiens des décennies à venir.
N.C