De quoi la crise institutionnelle est-elle le symptôme ?

« Ah que la République était belle sous l’Empire » déclarait le vice-président des Droits de l’Homme et républicain déçu Alphonse Aulard en 1885.

Ces mots frémissent tendrement à l’oreille de certains de nos concitoyens lassés par un système institutionnel dont ils ne cessent de se plaindre pour une large majorité d’entre eux.

40% des électeurs potentiels du 23 avril 2017 auraient possiblement voté blanc, si celui-ci était reconnu dans les suffrages exprimés. Cette récente enquête de l’IFOP n’est qu’un énième écho des nombreuses études sociologiques qui traduisent un malaise profond et pérenne des Français envers leurs institutions, dont la croissance demande à être caractérisée.

Nos institutions sont basées sur la Constitution de 1958 que ses fondateurs souhaitaient émancipée de la République des partis et affranchir le Président des querelles de « politichiens ». S’il apparaît aujourd’hui que ces orientations sont dévoyées (lire l’article « le délitement de la fonction présidentielle » de l’Observatoire en Campagne nº4), ce fonctionnement actuel de notre système politique aboutit à une défiance, plus qu’un mécontentement, du peuple dont il est censé être l’émanation.

Cette défiance majoritaire semble être animée par la nostalgie du sens originel de l’organisation institutionnelle du pays, à rappeler un Etat dont la continuité est assurée par un Président au pouvoir souverain d’arbitre au-dessus de la mêlée politique. Un Président qui n’est pas le représentant d’un camp mais celui de l’ensemble des Français. Un Président dont la stature extraordinaire est érigée presque au même rang que celui d’un sauveur, bienveillant et omnipotent.

Ainsi peut-on comprendre cette enquête Elabe de février 2016 qui indique que 78% des Français pourraient opter pour un candidat qui ne serait ni issu ni soutenu par un parti politique.

L’enquête de l’IPSOS « Les Français, la démocratie et ses alternatives », en date de novembre 2016, constate que 77 % des personnes interrogées estiment que « le système démocratique fonctionne en France de moins en moins bien ». Le Monde analyse « un constat partagé par tous les électorats quels que soient l’âge, le milieu social, le niveau d’études ou l’orientation politique ».

L’ensemble de ces études décrit l’essor de quatre velléités institutionnelles différentes : la plus faible étant le système actuel de démocratie représentative. Suivent celui du retour à un régime autoritaire (dont certaines enquêtes estiment sa complaisance populaire à hauteur de 40%), celui d’une démocratie participative dans laquelle les citoyens ont beaucoup plus de poids direct sur l’orientation politique et législative de la Nation, et enfin celui d’une technocratie dans laquelle les véritables experts exercent le pouvoir dans les domaines qui les concernent pour des réformes nécessaires bien que potentiellement impopulaires. Ces deux derniers points sont vus comme les deux vraies alternatives crédibles à la démocratie représentative telle qu’on l’a connaît aujourd’hui.

Dans ce sens, et à l’inverse de feu Winston Churchill, 43 % des personnes interrogées qui considèrent que « la démocratie ne fonctionne pas bien », pensent que « d’autres systèmes sont aussi bons que la démocratie »,

Il en ressort la cristallisation d’une ringardisation de notre système parlementaire actuel. Les récentes énièmes preuves de fractures entre le peuple et ses élus nationaux (étudiées dans « La crise de la représentativité » de l’Observatoire en Campagne nº4) en sont d’ailleurs une explication factuelle.

Une véritable défiance donc, dont les explications et leurs interprétations sont nombreuses. Celle qui se veut la plus consensuelle exprime une déviation perpétuelle bien qu’épisodique par le droit constitutionnel des prérogatives d’un « système » institué. Ce qui paraît tout à fait logique dans la mesure où les députés font les lois.

Ce « système » est politiquement marqué par le clivage « gauche / droite », c’est-à-dire socialistes / gaullistes.

Dans le flot des exemples, citons notamment le système du scrutin uninominal majoritaire pour les élections législatives, qui favorise la répartition majoritaire des sièges du Parlement entre les représentants des partis de ces deux courants traditionnels. Ce qui n’est en soit pas du tout représentatif de la répartition réelle des idées politiques de tous les électeurs, qui plus est si on prend en compte l’abstention volontaire et les votants blancs. L’abstention est d’ailleurs très révélatrice de cette désapprobation populaire : la seule élection législative à répartition semi-proportionnelle a suscité une forte baisse de l’abstention (de 30 à 21%), avant de remonter lors du scrutin suivant (de 21 à 35%).

D’autres éléments ont par leur nature un fort potentiel à choquer la population.

Si les récentes révélations de la presse ont fait la lumière sur les privilèges financiers exceptionnels des élus nationaux, n’oublions pas la possibilité de cumuler les mandats.

Philippe Poutou a également rappelé lors du débat entre tous les candidats le 4 avril les immunités parlementaires à travers l’image de l’absence d’«immunité ouvrière ».

Les principaux représentants politiques font aussi l’objet d’une critique répétée depuis maintenant plusieurs décennies : ils seraient en grande partie issus d’une même institution qui a elle seule représente la dissimilitude entre l’élite et le peuple : l’ENA. En outre, on reproche à cette institution d’être trop technocratique, de former des communicants hauts fonctionnaires de l’administration plus que de véritables experts dans les secteurs d’activités. Cette absence de personnes « du terrain » dans les orientations des politiques publiques est un autre aspect de la crise de la représentativité telle que ressentie en France.

Le paroxysme de cette vision des institutions comme gérées par des technocrates non seulement déconnectés de la réalité du terrain mais aussi uniquement préoccupés par leurs propres intérêts ei situe dans celles de l’Union Européenne, qui suscitent une farouche opposition de plus en plus consensuelle au sein des partis dits anti-systèmes.

Historiquement, nous pouvons dater les prémisses de la concrétisation d’un « ras-le bol » populaire à la pseudo-candidature de Coluche en 1981, qui avait pour but de rassembler l’ensemble des gens déçus, désespérés, ou simplement désintéressés par les politiques qu’ils considéraient déjà à l’époque comme « tous pourris ». Résultat : 16% d’intentions de vote, une pagaille dans les milieux politico-intellectuels, une censure et des pressions tacites presque assumées.

Au final, l’humoriste a recueilli deux promesses de parrainages. Sur plus de 44.000 grands électeurs. Quand bien même il canalisa une part de la vindicte populaire dès lors abandonnée.

Cela met en lumière un autre aspect de ce « système » qui tendrait à favoriser l’entre-soi : les conditions initiales à la candidature à l’élection présidentielle sous la Vème République imposaient la validation par une centaine de grands électeurs du caractère uniquement sérieux de la candidature. Cela pour empêcher qu’un « clown » puisse se présenter à l’élection présidentielle comme l’imaginait De Gaulle. En aucun cas donc ce « parrainage » était un acte politique. Il s’agissait en fait d’un simple garde-fou.

Mais cette législation s’est pervertie et est très vite devenue une interprétation politique. Nous sommes passés de 100 à 500 parrains nécessaires à la candidature en 1974, puis tout récemment, quelques mois avant l’élection présidentielle dans laquelle il y aura eu le plus de candidats déclarés (une centaine), les conditions ont été encore plus renforcées : les parrains sont rendus publics, et les chiffres sont mis à jour six fois pendant les trois seules semaines où le Conseil constitutionnel accepte ce processus. Autant dire que rien n’est fait pour favoriser l’avènement de candidats avec de vraies idées nouvelles mais sans budget, comme l’atteste par ailleurs l’abstentionnisme exemplaire des 70% des élus qui n’ont parrainé absolument personne. Enfin, notons qu’un(e) candidat(e) peut obtenir autant de parrainages qu’il/elle le souhaite, il est donc d’usage que les candidats des deux grands partis traditionnels de la Vème République obtiennent la moitié de l’ensemble des parrainages, sachant qu’1 élu local = 1 voix.

Hormis les candidats ayant un réseau de maires solide, ou ayant un budget considérable, cela laisse donc peu de place pour des projets certes atypiques mais qui pourraient susciter un engouement certain de la part de l’électorat. Outre le cas de Coluche, citons tout récemment le candidat du parti « Citoyens du Vote Blanc », Stéphane Guyot, qui dans un sondage IFOP en date de décembre 2016 était crédité de 14,5% d’intentions de vote au 1er tour de l’élection s’il parvenait à être candidat. Il a obtenu 9 parrainages … pour 4 à 5 millions d’électeurs potentiels.

Il en ressort donc un système où un premier vote est effectué par des grands électeurs pour dégager un certain nombre de candidats gracieusement adoubés.

Enfin, les heureux élus ayant obtenus le Graal des parrainages suffisants avaient traditionnellement l’habitude d’être appelés des « petits candidats » mais obtenaient au moins ce que requiert le minimum d’une démocratie, à savoir l’égalité de temps de parole dans les médias lors de la période officielle de campagne. Depuis 2017, on ne parle plus « d’égalité » mais « d’équité » de temps de parole, une équité qui est soumise au poids des candidats d’après les sondages. Ces mêmes sondages qui différencient les « petits » des « grands » candidats.

De cette idée de délitement du caractère direct entre le citoyen et sa Constitution l’on pourrait objecter plusieurs facteurs : Citons les plus récents : la Question Prioritaire de Constitutionnalité et le référendum d’initiative partagée de 2008, la reconnaissance du vote blanc de 2014.

Les deux premiers points font partie de la réforme constitutionnelle souhaitée par Nicolas Sarkozy. Mais la complexité de ces deux mesures les rend difficilement compréhensibles pour le commun des citoyens, donc quelque peu caduque. Le référendum d’initiative partagée a tellement de garde-fous que son effectivité n’est pas envisageable. Il s’agit donc bien là de camouflets de démocratie semi-directe.

La reconnaissance du vote blanc, souhaitée d’après de récentes études par une moyenne en constante hausse aux alentours de 85% des Français, a été votée en 2014 mais ne fait que différencier le vote blanc des votes nuls … dans les suffrages non exprimés. En somme, on ne jette désormais plus les votes blancs et les votes nuls dans une même poubelle, mais dans deux.

La liste des objections sur ces mesures prétendant le rapprochement du pouvoir au citoyen est longue, et pourrait témoigner principalement d’un effet d’annonce, uniquement donc à portée médiatique.

On est ainsi, encore une fois, très loin de l’idéal du fondateur de la Vème République, qui en plus de ce personnage souverain au dessus des contingences sociales, se rapproche de l’idée de la démocratie directe, celle du contact immédiat avec le citoyen. L’allocution du 6 janvier 1961 est, à cet égard, une illustration : « Vous le savez, c’est à moi que vous allez répondre… J’ai besoin, oui, j’ai besoin ! de savoir ce qu’il en est dans les esprits et dans les cœurs. C’est pour quoi je me tourne vers vous par dessus tous les intermédiaires. En vérité : qui ne le sait ? L’affaire est entre chacune de vous, chacun de vous, et moi-même ».

F.D

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *