Affaire Théo et Adama Traoré, violences à Bobigny, agressions contre des policiers à Viry-Chatillon, sont autant de faits traités régulièrement par les médias lorsqu’ils abordent le cas des banlieues en France. L’ombre des émeutes de 2005 n’étant jamais très loin. Mais au-delà de ces faits-divers teintés d’humiliation, il nous semble important de noter que derrière ces incidents, se cache parfois un sentiment de trahison
Des promesses non tenues aux lourdes conséquences
Le prolétariat francilien, qui avait voté majoritairement pour le candidat socialiste en 2012 (65% en moyenne en Seine-Saint-Denis), se sent à présent trahi pour avoir été considéré comme une banale pompe à voix électorale. Signe de ce divorce assumé, un grand nombre d’agglomérations de la région sont passées à droite depuis les municipales de 2014. Soit à peine deux ans après la prise de fonction de François Hollande.
Une focalisation sur l’islam aux limites de l’amalgame
Mais le divorce est aussi idéologique. Mariage pour tous, état d’urgence, fermeture des mosquées salafistes, déchéance de nationalité pour les binationaux accusés de terrorisme (aujourd’hui abandonnée) … Cette multitude de sujets semble avoir clivé une population, qui comprend en son sein un électorat musulman important. Il ne faut pas également négliger les multiples polémiques indexées sur la question de l’islam. Du burkini à l’affirmation d’une laïcité – bancale et plus en phase avec l’extrême- droite que la loi de 1905 – en passant par le port du voile à l’université et la question du halal à la cantine, les musulmans font l’objet de tous les débats. « Marianne n’est pas voilée » avait déclaré Manuel Valls lors d’un meeting socialiste en août 2016. La répétition a pour effet de stigmatiser les musulmans ce qui vient ajouter au divorce prononcé avec les banlieues où on se sent de plus en plus rejeté de la communauté nationale.
Une différence d’approche depuis les années Sarkozy
La crise de 2005 semble très similaire à la crise actuelle. Cette dernière, à l’image de l’affaire Théo, ayant également été amorcée par une bavure policière présumée (à savoir la mort accidentelle des jeunes Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois). Mais leurs traitements politiques sont très différents. En 2005, l’origine policière du drame avait été niée par le pouvoir. Le ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, ayant alors exclu une faute policière, tout en imputant un délit aux deux jeunes décédés. À la différence du viol présumé de Théo, que François Hollande est allé directement visiter pendant près de deux heures sur son lit d’hôpital. Ce qui est une différence notable dans les affaires « d’humiliation ». Où la reconnaissance de l’autorité dite hiérarchique est cruciale pour amorcer un début d’apaisement. L’IGPN, la police des polices, a également été saisie. Comme la preuve de l’existence d’un doute profond entre l’exécutif et les forces de l’ordre concernées.
Une autre différence réside dans le comportement de la place Beauvau. Tout le monde se rappelle de l’hyperactivité de Nicolas Sarkozy, qui déclarait vouloir nettoyer « au karcher » ces territoires oubliés. Le ministre actuel, Bruno Le Roux, semble beaucoup plus effacé. Presque en retrait. Comme si la technique du gouvernement semblait être un mélange équilibré de compassion et de discrétion. Alors que le viol présumé de Théo s’est déroulé le 2 février, il faudra attendre le 5 pour que le ministre publie un premier communiqué, bref de surcroit. Et la matinée du 13 pour se fendre d’un tweet. Bruno Le Roux, qui avait qualifié l’arrestation catastrophique de Théo de « tragique accident », s’est même rapidement excusé. Affirmant que le terme « accident » était inapproprié. Comme si le pouvoir craignait un embrasement d’un moment à un autre. Le gouvernement tente de jouer la carte de l’apaisement, sans pour autant entrer dans un dialogue forcé et aveugle. Soit une posture de repli et de traitement de l’émotion.
Un sentiment de fin de règne
Cependant, s’il existe bien une similitude entre les tensions de 2005 et de 2017, ce sont bien leurs timings. Ces deux crises arrivent lors d’une fin de mandat contestée. Comme exemples criants de la faillite d’une politique. La France de Jacques Chirac, qui parlait alors de « France d’en bas » et de « fracture sociale » et celle de François Hollande qui évoquait le terme « apartheid social et ethnique » par la voix de Manuel Valls, semblent se trouver à présent aux devants de leurs impostures. Comme si le diagnostic était connu, mais le traitement bâclé. La banlieue, ce dossier à la fois crucial (il regroupe en lui même les problématiques de chômage, d’exclusion, d’identité, d’éducation, d’insécurité et de terrorisme) et négligé, semble être devenu une patate chaude, passée de mandats en mandats, dans un désintérêt notoire, à l’exception de coups médiatiques et de déclarations tonitruantes.
Une autre voie
Alors le personnel politique évoque le communautarisme pour désigner les banlieues pauvres, oubliant au passage l’entre-soi de Neuilly, l’agression vis-à-vis des banlieues semble permanente. Elle a pour effet de sortir la banlieue de la République, et vient conforter ce qui à l’intérieur veulent en faire des zones de non droit : il y a une alliance objective entre ceux qui montrent en permanence du doigt les musulmans et ceux qui veulent les radicaliser, et les voyous, qui souhaitent asseoir leur territoire. En plus des difficultés quotidiennes, cette volonté manifeste d’isoler les banlieues par un personnel politique pour qui elle est l’objet de toute les facilités, demande à ceux qui y vivent de trouver eux-mêmes les solutions à leurs problèmes et donc à « la crise des banlieues ». Entre résignation et colère, la banlieue cherche progressivement une autre voie afin d’exister en se détournant du politique qui l’instrumentalise, des médias qui la défigurent, et de la République qui la rejette.
N.C