Les discours d’adieu : les vases communicants d’une posture

Les douze derniers mois ont été émaillés de plusieurs fins de carrières politiques d’anciens responsables de haut rang en France, comme à l’international avec Hillary Clinton pour les Etats-Unis et Matteo Renzi pour l’Italie.

Chronologiquement, ce sont Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, et François Fillon qui nous ont fait part de leur testament politique.

Loin d’être dénuées de sens, ces allocutions révèlent souvent malgré elles un certain tempérament, une certaine attitude face à la défaite. Elles ont en commun le voile d’une grande amertume et sont porteuses d’une certaine maitrise ou non de la communication de crise.

La com’ de crise Nicolas Sarkozy : De la revanche au deuil

La défaite cinglante de Nicolas Sarkozy à la primaire de la droite et du centre de novembre 2016 marquait au fer rouge la fin de sa carrière politique. Dans l’impossibilité de se présenter comme le candidat de la droite à la présidentielle de 2017, l’ancien chef de l’État a déclaré vouloir se consacrer à présent à sa vie privée, signe assumé d’une retraite politique anticipée. Il s’agit donc incontestablement d’une crise pour ce passionné de politique de seulement 61 ans, et qui ne pensait pas échouer en si bonne route, après sa victoire confortable à la présidence de l’UMP fin 2014. Ce second désaveu électoral de grande ampleur en cinq ans l’empêche dorénavant de revendiquer une quelconque légitimité populaire et politique, car comme l’énonce le proverbe français : « Qui fait deux fois naufrage, ne doit pas s’en prendre à la mer ». Deux stratégies différentes sont adoptées par le candidat malheureux et relève à la fois du contexte de l’élection et de son adversaire.

La défaite de 2012 s’inscrit dans une perspective de résilience. Dans son allocution prononcée à la Mutualité, Nicolas Sarkozy veut incarner la responsabilité qu’incombe sa fonction de président du la République et son statut de candidat démocratique en feignant d’accepter sa défaite. Cela ne saurait pour autant dissimuler l’immense amertume qu’il laisse paraître à de multiples occasions. Il demande par exemple à ses militants de ne « pas donner le mauvais exemple », lui même ayant souffert que « son institution n’ait pas été respectée ». Il déclare notamment : « Je ne serai jamais comme ceux que nous avons combattu » et évoque également les « nombreuses forces coalisées » contre lui. Il estime aussi que de nos jours « trop de discours comprennent des mots prononcés qui ne veulent rien dire », et que « ceux qui les prononcent, vivent le contraire de ce qu’ils disent ».

Or un véritable discours d’adieu est censé dénoter l’apaisement que confère la sagesse d’un nouveau statut, celui d’une personne qui tourne une page de sa vie.

Il rappelle cela dit son fair-play, estimant que la « France avait fait son choix » et que « François Hollande se devait d’être respecté en ajoutant qu’il souhaite au nouveau président « bonne chance au milieu des épreuves », et soulignant que son mandat sera « difficile pour lui » : il s’agit là d’un acte de courtoisie responsable qui convient à un Président bien que déchu, à un démocrate bien que déçu.

Cependant, il tient à affirmer « toute sa responsabilité dans la défaite », en raison du fait qu’il n’avait pas « réussi à faire triompher ses valeurs » et qu’il n’était « pas un homme qui n’assumait pas ses responsabilités ». Il accepte donc complètement sa faute dans cet échec. Il déclare notamment que « dans une défaite, c’est le numéro 1 qui porte la responsabilité ». Cette phase de responsabilité est une préalable d’un discours de défaite : une stratégie de reconnaissance inévitable. Cependant, afin de ne pas trop s’accabler, il déclare en fin de discours que la « vie est faite de succès et d’échec » et qu’on est « toujours grand dans l’échec ».

Les dernières phrases de sa prise de parole résument bien son allocution : « Soyons dignes, patriotes, le contraire de certains. Une France éternelle ». Un mélange donc bien huilé de patriotisme, de fierté et d’amertume.

Il est aisé de constater que ce discours relève plus d’un discours d’échec plein d’amertume que d’un discours d’adieu sage, réfléchi. On sait Nicolas Sarkozy loup politique, hyperactif, assoiffé de pouvoir : son costume que des juristes en droit constitutionnel qualifient d’ « hyper-président » en est le reflet. Additionné à l’immense rancune que son voile de dignité ne saurait trahir, à son relatif jeune âge pour un retraité (57 ans), et à la frustration d’un score plus qu’honorable (il échoue à 1,65% près) pour un candidat dont l’ensemble des autres prétendants souhaitaient la défaite annoncent déjà son retour programmé sur la scène politique.

D’autant plus que François Hollande et lui se sont silencieusement offensés mutuellement. On se souvient de la passation de pouvoir dont la courtoisie républicaine en a été réduite au minimum. Le nouveau Président ne citera pas son prédécesseur comme un « grand Président », au contraire de son meilleur ennemi Jacques Chirac. Quelques mois plus tard, l’humiliation a été portée à son comble lorsque François Hollande enterre de son chef Nicolas Sarkozy lorsqu’il répondit avec de grands éclats de rire à un jeune garçon lui indiquant « n’avoir jamais vu Nicolas Sarkozy » « eh bien tu ne le verras plus ».

On imagine dès lors l’ancien chef de l’Etat, du fond de ses salles de conférence à un bout du monde, ou de ses vacances à l’autre bout, attendre avec impatience le moment adéquat pour prendre sa revanche sur François Hollande. Il est plus que jamais prêt à rebondir, et de façon extrêmement rapide (ce qui s’est vérifié dans les faits). Son objectif était alors de protéger la droite le temps de son absence tout en s’assurant qu’aucune personnalité ne saura rassembler autant que lui, afin d’être en mesure d’être le candidat naturel du mouvement en 2017. C’est dans ce contexte qu’est née la guerre Fillon-Copé. C’est incontestable, Nicolas Sarkozy savait qu’il allait revenir.

 

Et il est revenu. Mais la soif de revanche d’ancien leader déchu n’a jamais porté bonheur aux dirigeants français : c’est l’effet Napoléon. Le retour de Sarkozy se termine ainsi par une défaite finale. Cependant celle-ci s’inscrit dans un cadre beaucoup plus apaisé pour l’ancien chef de l’Etat.

Dans son allocution d’adieu, Nicolas Sarkozy insiste énormément sur le succès populaire des primaires, cet événement politique ayant été organisé sous sa présidence du parti. Il laisse entendre être parvenu à résorber les « guerres fratricides ». Enfin, l’évocation du nouveau nom du parti est le dernier élément de rappel qui a pour but de graver son héritage, celui de l’apaisement.

Il insiste également énormément sur l’aspect collectif de cette campagne. Il remercie à de nombreuses reprises sa base, que ce soit son équipe, sa formation politique, les élus Les Républicains ou les militants du parti. Il déclare que « la confiance des élus l’a touché ». Il s’honore aussi de la « fidélité des militants » avec lesquels il rappelle son « amitié ». Il parle de « l’aventure magnifique » qu’il a pu vivre avec les élus. Tout en déclarant, qu’il avait décelé en eux « leur courage et leur persévérance ». Il leur souhaite également une « vie politique épanouie et pleine de succès », ce qui révèle une tentative de proximité, récurrente dans les discours d’adieu des politiciens, et une manière sûrement pour Nicolas Sarkozy, de s’éloigner de son image « d’hyper-président ». Un président qui ne respectait pas les échelons hiérarchiques inférieurs (il traitait notamment François Fillon de « simple collaborateur »).

Il reste ancré dans sa mouvance politique, en estimant que François Fillon et Alain Juppé sont des « personnalités de grande qualité », qui « font honneur à la droite française ». Il a rappelé avoir d’ores et déjà travaillé avec eux, tout en rappelant que son unique objectif était que le candidat désigné gagne la présidentielle de 2017, car seul « l’intérêt de la France compte à ses yeux (…) Pays qu’il aime tant  ». Il s’agit bien là d’un fair-play qu’il convient de souligner et qui diffère de 2012.

Le discours de 2016 est donc bien différent de celui de 2012. On peut supposer que Nicolas Sarkozy n’ait jamais réellement voulu intégrer cette campagne, et que cette dernière représentait plus une vengeance personnelle sur l’Histoire (suite à l’échec de 2012 évidemment, surtout face à un socialiste qu’il méprisait), que d’une véritable quête politique. Soulagement qui a été reconnu d’ailleurs par certains de ses proches, a posteriori, dans des propos repris par le JDD, publié le dimanche suivant sa défaite. Il tient à partir la tête haute, sa blessure étant à présent définitivement cicatrisée.

Le discours d’adieu de Fillon : les marques de l’annonce classique d’une retraite

L’allocution de renoncement de l’ancien élu sarthois ne restera pas dans les annales de la vie politique française en ceci qu’elle est bien ordinaire. Ce qui nous permet d’établir des comparaisons avec les discours de son ancien supérieur hiérarchique entre 2007 et 2012.

Tout d’abord, Fillon assume sa responsabilité dans la défaite « malgré tous mes efforts » : « je n’ai pas réussi à vous convaincre ». Plus tard, il confirmera « cette défaite est la mienne. C’est à moi et à moi seul qu’il revient de la porter ». La responsabilité assumée est en effet un des premiers axes de communication dans un système démocratique.

L’ancien locataire de Matignon nous fait ensuite part de sa rancune à l’endroit de ses détracteurs qui lui ont barré la route par des obstacles malhonnêtes : c’est ce que l’on peut comprendre à travers la formulation « trop nombreux, trop cruels ». Cette partie est la seule qui transgresse avec un parfait modèle de discours d’adieu traditionnel. Elle laisse paraître une pointe d’amertume, comme l’illustre sa phrase énoncée avec un certain ton tranchant : « le moment venu, la vérité de cette élection sera écrite ». L’amertume est un sentiment humain qui peut se comprendre, imaginant l’émotion que consiste la nouvelle subite d’apprendre une défaite après de nombreux mois de travail pour tenter de convaincre.

Celle-ci est d’ailleurs commune à Sarkozy, Juppé, Hollande et Fillon.

Le candidat investit par la Primaire de la droite et le centre remercie par la suite ses fidèles, comme il convient de le faire : « j’adresse à tous ceux qui depuis quatre ans me soutiennent avec dévouement et avec courage un message d’amitié et de reconnaissance. Je ne les oublierai jamais. »

Il exhorte les membres de son camp de « ne pas [se] disperser. Restez unis, restez déterminés » : cette volonté de rassemblement est logique lorsqu’on sait le leader obligé de partir. Cela l’emmène à adopter une position en vue du second tour. Il rappelle l’histoire du Front National pour justifier de son combat. Puisqu’il ne considère pas l’abstention et le vote blanc comme des options, il ne se résout qu’à un choix : « je ne le fais pas par gaieté de cœur […] il n’y a pas d’autre choix que de voter contre l’extrême-droite. Je voterai donc en faveur d’Emmanuel Macron ».

Il parle ensuite d’avenir, répétant une formule bien connue : « mon rêve ». Cela lui permet de léguer son projet à des générations futures, « il revient de vous battre et de vous unir pour le concrétiser. L’avenir de la France est d’abord dans vos mains ». Il s’agit là d’une forme de testament politique, elle aussi classique dans le discours d’adieu d’un ancien haut responsable.

Enfin, il convient de terminer une telle allocution par un éclaircissement sur la vie qui sera la sienne après cette vie publique. Dans ce cadre, Fillon, comme Sarkozy, se rétrograde en affirmant être « l’un des vôtres » c’est-à-dire un « simple » « Français qui aime son pays et qui croira toujours en lui ».

Que ce soit Sarkozy, Juppé, Hollande ou Fillon, force est de constater l’émotion qui traverse des loups politiques forts de décennies de vie publique lorsqu’il s’exerce dans ce moment difficile qu’est l’annonce de leur mise en retraite.

Aussi trouvons-nous là un certain paradoxe français : alors que le mouvement dit du « sortez les sortants » a fait des ravages ces dernières années, une grande partie de la population exprime une forme de nostalgie qui se traduit par un fort bond de popularité à la suite des adieux de personnalités.

Une illustration que nous permet de souscrire à cette belle reprise de « l’Empereur de tous les Français » par le poète Robert Sabatier qui disait « Les Français sont ces gens impossibles qui répètent qu’impossible n’est pas français ».

N.C, F.D

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