Trois incidents dans des centrales nucléaires françaises en moins de deux semaines, tel est le bilan de ce début d’année 2017. Il s’agit des usines de Cattenom (Moselle, le 1er février), Flamanville (La Manche, le 9 février) et Golfech (Tarn-et-Garonne, le 12 février).
Le 30 janvier, Médiapart dévoilait que « la centrale nucléaire [de Fessenheim] est directement concernée par le scandale de la fraude de l’usine Creusot Forge d’Areva qui a dissimulé des malfaçons sur des pièces destinées aux réacteurs. Une pièce mal forgée a été livrée à la centrale alsacienne et mise en fonctionnement comme si elle ne présentait aucune anomalie ». Si la procédure de fermeture de la centrale de Fessenheim a été enclenchée début janvier dans la mesure où elle représentait un engagement de campagne du candidat Hollande, on ne peut s’empêcher de relever le temps que cela a pris pour un gouvernement dans lequel participent des écologistes.
Il faut également noter que ces péripéties ne sont que les plus imposantes d’une série d’incidents réguliers. En 2015, 1.682 anormalités dans les centrales françaises ont été déclarées à l’Agence de Sûreté Nucléaire. L’ASN déplore dans son rapport annuel de 2016 « un contexte préoccupant, porteur d’inquiétude pour l’avenir ». Nous pouvons brièvement expliquer cette situation en mettant en avant la prise de risque tolérée par les autorités publiques.
De plus, les conditions de sécurisation de ces centrales posent des problèmes à nos voisins. Cela a pour conséquences les plaintes de certains de nos pays transfrontaliers européens que sont le Luxembourg, l’Allemagne (notamment pour la centrale de Cattenom) et la Suisse (en ce qui concerne la centrale de Bugey dans l’Ain). Ils exposent leur proximité immédiate en cas d’accident nucléaire de ces usines qu’ils considèrent un danger à leur porte. L’absence de propositions concrètes par les autorités, confortée par une certaine forme de désintérêt médiatique risque d’envenimer les relations avec des voisins dont les échanges commerciaux ne sont pas à négliger.
Face a l’ensemble de ces éléments, force est de constater que les médias nationaux n’y accordent que peu d’intérêt. Une simple veille sur l’explosion « ressentie » sur le site de la centrale de Flamanville démontre qu’il y a moins d’articles en français qu’en d’autres langues. De plus, les médias qui en parlent se limitent généralement à la déclaration de la préfecture qui assure de « l’absence de tout risque nucléaire ». Fessenheim n’est que la partie immergée de l’iceberg. Aussi, si les pouvoirs publics évaluent le coût d’un désastre nucléaire sur le sol français à plus de 300 milliards d’euros, ils omettent dans leur calcul de préciser les conséquences commerciales, touristiques et agricoles, trois secteurs absolument vitaux à l’économie française. Cette négligence constitue ainsi selon nous la crise oubliée qui peut ressurgir à tout du moment.
Pour les autorités, l’enjeu économique des centrales nucléaires est suffisant pour retarder l’échéance du démantèlement de ces centrales théoriquement en fin de vie. Les enjeux politiques et sociaux sont pourtant bien qualitativement quantifiables. Concernant la sûreté, il existe trois recommandations vitales en cas d’incident majeur : maîtriser la réactivité, refroidir le coeur nucléaire (notamment via la circulation de l’eau de refroidissement en toute circonstance) et confiner les particules radioactives. De l’aveu du Président de l’ASN, Pierre-Franck Chevet la sureté nucléaire représente un « enjeu sans précédent ». Ainsi, il n’existe aucune garantie de contrôle absolu en cas d’accident nucléaire sur le parc français riche de 58 sites.
Les enjeux sociaux sont tout aussi préoccupants : la mauvaise gestion des déchets, comme l’illustre le projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires français sous son sol (un projet sans précédent dans le monde), risque à long terme de provoquer une perturbation environnementale considérable dans la région. D’un point de vue politique, fermer une centrale reste un défi à la fois social, en raison des emplois directement impactés par une fermeture et celui du démantèlement pour lequel les technologies sont encore embryonnaires.
La transition vers les énergies renouvelables pourrait être une option. Elle représente certes un investissement important mais l’enjeu énergétique et social constitue à la fois les bases d’un nouveau modèle sociétal plus pérenne ainsi qu’une garantie d’indépendance énergétique de la France. Il conviendra également de changer plutôt de culture, que de technologie. Or la transition énergétique tend à occulter cette dimension dans la mesure où elle est « secondarisée » par rapport à une approche techno-centrée. En effet, les évolutions techniques de la transition énergétique sont conditionnées à une adaptation consentie de la société. Cette analyse épouse la théorie émanant de la sociologue Marie-Christine Zelem, pour qui « fondamentalement, la transition énergétique implique une culture moins énergivore. Il ne suffit pas de faire une loi pour que le social obtempère. Le socle, c’est la société de consommation. C’est sur cette base qu’opèrent les routines, les normes, les micro-conflits, les croyances ».
Ainsi, force est de constater qu’une transition énergétique qui en beaucoup de points serait souhaitable ne peut être conduite que par l’assentiment majoritaire et intéressé des Français.
F.D.