La communication de crise de l’extrême-droite : triomphe de la facilité

L’extrême-droite française qui est représentée dans l’échiquier politique par le Front National est en proie à deux grands types de phases de pressions : positives (comme la qualification à un second tour mais avec le statut d’outsider) ou négatives (comme l’avènement d’une crise en cas de qualification). Face à ces situations, la gestion de l’événement et sa communication constituent une véritable marque de fabrique propre à l’extrême-droite. En premier lieu, notons la récurrence de l’accusation du système et des élites, prémisse du complotisme. Deuxièmement, la virulence de l’offensive des frontistes à l’encontre de leurs détracteurs surpasse la défense et pour un FN en proie aux affaires, voire à l’affairisme, « la meilleure défense, c’est l’attaque ».

Machination – Dans la crise concernant l’affaire de l’emploi fictif de son ancien garde du corps, Marine Le Pen et son entourage dénoncent une « machination » venue tout droit des responsables européens. L’argument est d’accuser l’Europe, qui est la source des plus vives critiques du Front National, d’être aux manettes de personnes qui ont délibérément sorti cette affaire à ce moment précis pour discréditer la sincérité de Mme Le Pen. C’est parce qu’elle représente la plus grande menace sur les institutions européennes que ses défenseurs trouveraient les plus vils moyens pour l’empêcher de leurs nuire. Cela contribue donc à une stratégie de contre-attaque, par le dessin d’un complotisme europhile.

Déplacement du lieu du débat – Concernant la pression positive que constitue le second tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen reste sur sa rhétorique anti-système : accuser les médias, les intellectuels, en bref, les élites de « rouler pour Macron ». Ce dernier est d’ailleurs accusé d’être le fidèle représentant de la « mondialisation sauvage ».

Rumeur – On observe d’ailleurs ici un parallèle intéressant entre les rouages du complotisme et ceux de la rumeur. Comme nous l’avons vu dans l’article sur la gestion de la rumeur selon Macron (Observatoire en Campagne nº2), une rumeur est une excellente technique de déstabilisation qui se caractérise par sa simplicité de mise en œuvre et une très grande complexité pour la démentir.

Complot – Concernant la crise des révélations sur les emplois fictifs des parlementaires frontistes européens, l’idée est ainsi d’accuser les représentants des instances européennes de chercher à protéger leurs propres intérêts. Les soutiens de la candidate soutenue par le Front National nomment ces responsables et évoquent un passé trouble, souvent sans possibilité de vérifier ces dires, qui viendrait conforter cette idée.

Culot – L’extension logique de cette rhétorique est d’aboutir à assumer des erreurs en prétendant qu’elles furent volontaires, ce dans le but soi-disant de piéger les médias, assez stupides pour tomber dans le panneau.

Dans la crise des affaires d’emplois fictifs européens, certains cadres frontistes ont par exemple affirmé que ces emplois sont de simples provocations à l’encontre des institutions européennes qu’ils ne respectent pas. Durant l’entre-deux-tours, Marine Le Pen s’est illustrée par un plagiat incontestable d’un discours de Fillon : si les premières réactions frontistes, à chaud, récusaient ce parallèle, ils ont par la suite parlé d’un « clin d’œil » pour ensuite que Mme Le Pen au journal télévisé de TF1 du lendemain dise « assumer ce clin d’œil, et puis ce buzz, disons-le, puisqu’il n’y a que ça qui vous fait courir ». Pour justifier cette antithèse d’un discours de fond, elle indique « ce discours a été entendu des centaines de fois ». Or sans ce plagiat, il « n’aurait pas été écouté ni entendu ». Elle dérive ainsi sur le sujet de fond, qui était l’authenticité de ses discours.

Contre-vérité – Le paroxysme de cette stratégie communicationnelle en proie à la facilité rhétorique, souvent utilisée par l’extrême-droite dans une perspective populaire, est la tactique de la contre-vérité : il s’agit d’inverser les rôles et prêter à son adversaire le costume du porteur de maux de l’extrême-droite.

Lors de la crise sur les emplois fictifs européens, des frontistes ont accusé beaucoup de journalistes et de représentants européens de malhonnêteté et d’usurpation. La stratégie était alors de faire un parallèle avec l’affaire dit du PenelopeGate qui courait au même moment en prenant à témoin les Français sur un choix qu’ils auraient à faire : « les Français savent faire la différence entre de vraies affaires et les fausses affaires » martelaient Marine Le Pen et Florian Philippot. En ce qui concerne l’entre-deux-tours, la candidate affuble ainsi son adversaire des principales critiques qu’elle subit : il serait l’héritier de son père spirituel François Hollande, souhaiterait une France recroquevillée sur elle-même et, en outre, soutenu par des associations xénophobes, antisémites ou racistes. Lors du débat, elle estime que M. Macron porte un « projet peur », « extrémiste » et d’être « le candidat de la fermeture ». Il s’agit donc là clairement d’une stratégie de contre-attaque de cour d’école : « Toi-même, na ! ».

Connotation défavorable – Une des stratégies de communication de Marine Le Pen pour le second tour de l’élection présidentielle est d’affubler son adversaire d’un surnom contenant un adjectif péjoratif pour renvoyer une mauvaise image. Usage de la facilité linguistique pour optimiser les chances pour que cette critique devienne virale. On se souvient du « crooked Hillary » de Donald Trump : Marine Le Pen a choisi « bébé Hollande ». Cela renvoie d’une part la mauvaise image de la jeunesse et du manque d’expérience d’Emmanuel Macron, d’autre part les liens de proximité qui ont existés entre Macron et François Hollande, dont l’impopularité en tant que Président de la République a battu tous les records. Aussi, elle dépeint régulièrement l’ancien salarié de la banque Rothschild comme le « suppôt de la mondialisation » : quel meilleur moyen que celui de parler de « suppôt » pour assimiler Macron au majordome du diable ?

Evitement – Un troisième aspect de stratégie communicationnelle à relever chez Marine Le Pen est un appel à la logique pour lui donner raison.

Elle utilise dès lors les artifices de cette rhétorique, ce qui passe notamment par la sémantique. En effet l’emploi de certains mots est privilégié par Mme Le Pen, de manière presque abusive : ainsi s’aperçoit-on d’après les statistiques de l’indicateur Google Trends que le terme « évidemment » est plus souvent présent dans ses prises de parole que le terme « économique ». De la même façon, la candidate frontiste et ses porte-parole, refusent systématiquement tout débat sur le programme et préfèrent flatter les électeurs.

Sophisme – A propos de la crise sur la révélation des emplois fictifs : L’appel à l’évidence est appuyé par la facilité argumentative que représente le complotisme dont nous avons déjà parlé. Parce qu’il est difficile de démontrer en quoi le raisonnement complotiste est faux, notamment du fait que les représentants de l’extrême-droite dénoncent des intentions, l’appel à la logique est une arme redoutable.

Images – Lors du second tour de l’élection présidentielle, loin de vouloir se confronter à M. Macron sur le fond, Marine Le Pen privilégie la forme. Cette dernière s’est illustrée sur des terrains caractéristiques de ce que M. Raffarin appelait « la France d’en bas », ou de ce que le Général de Gaulle qualifiait de « la France qui se lève tôt » : à un marché, sur un parking au milieu des grévistes de Whirlpool, dans un bateau de pêche, etc. Cette image la candidate au milieu gens lui permet de refléter celle de l’évidence d’une femme du peuple.

Action – De manière moins spécifique, le Front National choisi les mots et verbes d’action. Ainsi, on note l’omniprésence des verbes « faire », « vouloir », « dire », « donner » ou encore « lutter », « rendre » et « protéger ».

Puérile – Enfin, une des particularités de l’extrême-droite lorsqu’elle se trouve sous pression est de rappeler sa volonté de proximité avec le peuple : le fleurissement d’un langage populaire –voire infantile– est dans ce sens surexposé. C’est ainsi que tout récemment, dans le cadre de l’entre-deux-tours, Marine Le Pen a eu des propos comme « Front Républicain tout pourri », ou « on serre le kiki des Français ».

Notons enfin que ce particularisme à l’extrême-droite constituent une forme nouvelle de langage politique et représentent aux yeux de beaucoup une rupture avec le discours politique classique. La faculté du FN d’utiliser ces armes rhétoriques est terriblement efficace : ainsi pourrions-nous expliquer pourquoi les affaires d’emplois fictifs n’émaillent pas la campagne du second tour de Mme Le Pen au point que son adversaire n’en fasse plus étalage, et pourquoi la candidate de l’extrême-droite est passée de 29 à 41% d’intentions de vote en l’espace de trois jours.

F.D, D.H

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